Il signait souvent Wolfgang Amadeus Mozart, bien qu'il se prénommât Franz Xaver. Mais après tout, lorsqu'on porte un nom aussi prestigieux, il est tentant de falsifier un peu son prénom pour s'ouvrir quelques portes dans le monde si fermé du show-bizz. Wilhelm Friedemann Bach, lui aussi, avait parfois vendu ses compositions sous le nom de Jean-Sébastien. Pas facile de vivre dans l'ombre d'un géant, et la presse pipeule ne manque jamais de comparer le fils au père, pour conclure que, non, décidément, le rejeton n'arrive pas à la cheville de son paternel. La comparaison avec le galopin prodigue et indigne du Cantor s'arrêtera d'ailleurs là. Franz Xaver n'eut qu'une carrière. Wilhelm Friedemann, tourmenté et visionnaire, eut un destin.

Mozart en mourant laissa trois orphelins : Carl Thomas, Franz Xaver et l'humanité toute entière. Carl Thomas eut la sagesse de s'apercevoir qu'il n'avait aucun talent musical et devint fonctionnaire. Un bon fonctionnaire vaut mieux qu'un mauvais croque-notes. Franz Xaver mena une carrière honorable de virtuose, de compositeur et de professeur, il faut bien vivre. Quant à l'humanité, elle s'en remit assez vite, elle n'en était pas à son premier deuil.

Franz Xaver Mozart naquit le 26 juillet 1791, moins de cinq mois avant la mort de son père. Il reçut une éducation musicale soignée et il eut pour maîtres des professeurs aussi éminents que Dusek, Streicher, Hummel, Salieri, Vogler ou Albrechtsberger. Il fut protégé de Haydn, ami de Schubert et rencontra Beethoven qui nota sur son carnet de conversation : Il est un bon pianiste et on lui fait accueil... Il est monstrueusement vaniteux. La rencontre avec le fils ne semble pas s'être mieux passée que celle avec le père en avril 1787.

Je viens d'écouter - et de découvrir - le 2ème concerto pour piano op. 25 de Mozart le Jeune. L'oeuvre date de 1818. Cette même année, le cousin Weber avait commencé à écrire le Freischütz, Beethoven avait déjà composé 29 de ses 32 sonates, 8 de ses 9 symphonies et la totalité de ses concertos pour piano. A côté de ces monuments, l'oeuvre du fils Mozart paraît bien conventionnelle, et pourtant elle témoigne d'un solide savoir-faire et se colore d'une petite touche de romantisme qui annonce Liszt ou Schumann. J'avoue que j'ai été séduit, tout autant par la qualité de la musique que par l'évocation du destin d'un homme condamné à vivre avec cet héritage, à la fois bénédiction et malédiction : le nom de Mozart. Et le mot de Voltaire : Combien de gens ont eu quelque talent pour la poésie, pour la musique, pour la peinture ! Cependant il serait ridicule de les appeler des génies. Franz Xaver ne sera jamais un génie. Il laisse une oeuvre quantitativement dérisoire, pas besoin d'un Köchel pour en dresser le catalogue. Quelques choeurs, quelques lieder, deux concertos pour piano, une symphonie en deux mouvements, un peu de musique de chambre, des danses, des variations, dont une série sur le menuet de Don Giovanni de son père. Et pas plus que son frère, il n'aura d'enfant. Le sang des Mozart s'éteint en 1858 avec la mort de Carl Thomas, lui aussi sans héritier. 

Les psychanalystes s'en sont donnés à coeur joie pour nous expliquer qu'il fallait interpréter le coup d'épée qui perçait le coeur du Commandeur comme l'acte terrible d'un fils tuant son père, et comment ce père est revenu punir son fils de ce meurtre symbolique. On n'en connaît pas assez sur la vie de Franz Xaver Mozart, - et à vrai dire, l'on s'y intéresse beaucoup moins -, pour supputer si, lui aussi, a voulu tuer symboliquement l'image écrasante de son daron. Mais consciemment ou non, il est probable que l'ombre de Wolfgang pesait sur Franz :

Andante espressivo du 2ème concerto

Le mouvement a tout de même un petit air de famille. Il suffit de ralentir un peu l'entrée du piano dans le concerto n° 20 K. 466 en ré mineur pour s'en convaincre :

Le père

et le fils...

Troublant, non ?