Le Mélonaute

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dimanche 18 janvier 2009

Le mystère Vivaldi

Le fils du barbier me rase, je n'y peux rien. Pourtant, on ne pourra pas me reprocher de n'avoir pas essayé. Cent fois, mille fois, je me suis attelé à la tâche, je me suis installé dans mon fauteuil le plus confortable, concentré, plein de bonne volonté, bien décidé à percer coûte que coûte ce mystère. Las, très vite mes paupières s'alourdissent, mon esprit se met à vagabonder, il faudrait que je change le joint de ce robinet qui fuit, j'ai oublié de rappeler la banque, surtout ne pas oublier d'acheter du café, il faudra que je change le joint de ce café qui fuit, j'ai oublié de rappeler mon robinet, et je tombe dans une douce somnolence, anesthésié par ce violon qui n'a rien à me dire et ces phrases musicales qui ne font pas grand chose pour me surprendre. Vingt minutes de sa musique agissent plus efficacement sur moi qu'un comprimé de Stillnox.

Son apport à l'évolution de la musique est incontestable. Il fixa les formes du concerto de soliste, même s'il n'en fut pas l'inventeur : avant lui, Torelli avait déjà utilisé la coupe en trois mouvements, rapide, lent, rapide. Ses sinfonies préfiguraient les symphonies classiques et annonçaient Carl Philipp Emmanuel ou Jean Chrétien Bach. Ses modulations du majeur au mineur, ses hardiesses harmoniques, l'utilisation des accords de 9ème ou même de 11ème devaient avoir un aspect résolument moderne en 1720. Il est d'ailleurs faux de prétendre qu'il ne fut pas reconnu en son temps. Il souleva l'enthousiasme en Europe, Corrette écrivit un Laudate Dominum sur ses Quatre Saisons et Bach transcrivit plusieurs de ses concertos. Néanmoins, ce ne sont pas ces apports théoriques, largement ignorés du grand public, qui peuvent expliquer aujourd'hui cette frénésie de Vivaldi. Bien d'autres apportèrent des contributions décisives à l'écriture musicale et ne sont pas utilisés en fond sonore sur les répondeurs téléphoniques (celui de la Mairie de Paris avec son Printemps nasillard et couinant est un modèle de bon goût municipal) ou en sonnerie sur les téléphones portables. Non, décidément, il y a un mystère Vivaldi.

Je tombe sur une phrase d'Antoine Goléa écrite il y a plus de 30 ans : Aujourd'hui, des tonnes de disques chantent la gloire de Vivaldi, et il suffit d'afficher un programme Vivaldi pour que se remplisse une salle. C'est une mode qui passera comme les autres et on s'apercevra à quel point un Corelli et un Tartini ont un génie autrement divers et profond que ne le sont le talent et la facilité de Vivaldi. La prophétie ne s'est pas réalisée, puisque la maison d'édition Naïve a initié un projet monumental d'enregistrement des manuscrits inédits du Prêtre roux conservés à la bibliothèque de Turin. Projet prévu sur 15 ans, qui promet de faire couler beaucoup d'encre et de générer de confortables profits. 300.000 coffrets de la première livraison auraient déjà été vendus, ce qui est un chiffre pharaonique pour de la musique classique. Rappelons que l'immense majorité des nouveaux disques n'atteint pas 1.000 exemplaires, et que la plupart sont vendus à moins de 500 ex. Un disque classique qui dépasse les 3.000 exemplaires écoulés constitue un véritable exploit dans le milieu de l'édition. Le record des ventes reste à ce jour à Jordi Savall à la viole de gambe pour la musique de Tous les matins du monde, vendue à environ 1 million d'exemplaires. Lequel Jordi Savall collabore d'ailleurs au programme de Naïve. On ne s'en plaindra pas, c'est un musicien d'exception.

Il faut regarder les photos que Naïve a utilisées pour les couvertures de ses Cds pour mieux comprendre sa démarche marketing. Elles conviendraient parfaitement pour promouvoir des parfums ou des sous-vêtements haut de gamme.
http://www.aptlymedias.com/atena/fr/edition.html

Vivaldi s'y décline comme un produit de luxe, il prend sa place à côté de Dior, Chanel, Louis Vuitton, Rolex, Gucci ou Prada. Il ne déparera pas sur la (petite) étagère culturelle de Nicolas Sarkozy. La culture est traditionnellement austère et l'exhumation de paperasses vieilles de presque trois siècles risquait de ne concerner qu'un public de vieilles barbes spécialistes, forcément limité. Il fallait éviter que la pièce de musique devînt une pièce de musée, il était nécessaire de lui donner un look moderne à l'usage des jeunes cadres et des bobos, généralement assez incultes musicalement, mais très sensibles au statut social. C'est pourquoi la communication de Naïve n'est pas principalement axée sur la musique elle-même, mais insiste davantage sur l'aspect luxueux du produit, avec des photos inédites de Venise dans un format 30 x 30. The Vivaldi Edition Operas #01 comprend 27 CD, 1 DVD bonus et 2 livres totalisant 208 pages au prix unitaire de 180 Euros TTC. Démarche opposée à celle de la maison Brilliant, qui propose régulèrement des coffrets de 100 Cds ou plus pour des prix dérisoires (on trouve désormais le coffret Mozart de 170 Cds à moins de 60 euros, et un coffret Vivaldi de 40 Cd à moins de 40 euros). Chez Naïve, on offre relativement peu pour assez cher. Brilliant, c'est l'eau de Cologne, Naïve, c'est 5 de Chanel.
http://www.vivaldiedition.com/

Il y a tout de même là-dedans, comme disait Don Juan, quelque chose que je ne comprends pas. Qui, à part quelques allumés, pourrait bien avoir envie d'écouter une cinquantaine d'opéras baroques, certainement très bien écrits, mais aussi loin de nos préoccupations actuelles ? Pourquoi Vivaldi devient-il ce symbole de la Grande Musique, et qu'est-ce qui, dans son oeuvre, peut expliquer cet engouement ? Ou plus simplement, qu'est-ce qui, à notre époque, fait qu'on va chercher une émotion esthétique chez des compositeur morts depuis trois siècles alors que personne n'écoute les créateurs contemporains ? Je tombe également sur un Vivaldi Universel,
http://www.lefanal.fr/spectacles_prog.cfm?id_fiche=318&lemois=02

commande du Rhino Jazz Festival qui utilise astucieusement les Quatre Saisons dans une démarche écologiste :  Le Livret "Les Arrières Saisons" composée de voix de 7 à 78 ans qui disent, témoignent ou lisent les Saisons - lectures à partir d'écrits d'Ahmadou Kourouma, de Charles Beaudelaire et surtout d'extraits du Troisième Rapport d'évaluation du Groupe de Travail I du Groupe d'Experts intergouvernemental sur l'évolution du climat (GIEC) intégrant les nouveaux résultats des cinq dernières années de recherche sur les changements climatiques.

Décidément, simple phénomène de marketing ou réelle et formidable modernité qui m'a quelque peu échappée, je le confesse, il y a bel et bien un mystère Vivaldi. Je vais une fois de plus m'installer dans mon fauteuil le plus confortable, concentré, plein de bonne volonté, bien décidé à percer coûte que coûte ce mystère. Las, j'ai bien peur que, très vite, mes paupières ne s'alourdissent, que mon esprit ne se mette à battre la campagne, il faudrait que je change le joint de ce robinet qui fuit, j'ai oublié de rappeler la banque, surtout ne pas oublier d'acheter du café, il faudra que je change le joint de ce café qui fuit, j'ai oublié de rappeler mon robinet, surtout, ne pas oublier..

mercredi 14 janvier 2009

La gloire de son père

Il signait souvent Wolfgang Amadeus Mozart, bien qu'il se prénommât Franz Xaver. Mais après tout, lorsqu'on porte un nom aussi prestigieux, il est tentant de falsifier un peu son prénom pour s'ouvrir quelques portes dans le monde si fermé du show-bizz. Wilhelm Friedemann Bach, lui aussi, avait parfois vendu ses compositions sous le nom de Jean-Sébastien. Pas facile de vivre dans l'ombre d'un géant, et la presse pipeule ne manque jamais de comparer le fils au père, pour conclure que, non, décidément, le rejeton n'arrive pas à la cheville de son paternel. La comparaison avec le galopin prodigue et indigne du Cantor s'arrêtera d'ailleurs là. Franz Xaver n'eut qu'une carrière. Wilhelm Friedemann, tourmenté et visionnaire, eut un destin.

Mozart en mourant laissa trois orphelins : Carl Thomas, Franz Xaver et l'humanité toute entière. Carl Thomas eut la sagesse de s'apercevoir qu'il n'avait aucun talent musical et devint fonctionnaire. Un bon fonctionnaire vaut mieux qu'un mauvais croque-notes. Franz Xaver mena une carrière honorable de virtuose, de compositeur et de professeur, il faut bien vivre. Quant à l'humanité, elle s'en remit assez vite, elle n'en était pas à son premier deuil.

Franz Xaver Mozart naquit le 26 juillet 1791, moins de cinq mois avant la mort de son père. Il reçut une éducation musicale soignée et il eut pour maîtres des professeurs aussi éminents que Dusek, Streicher, Hummel, Salieri, Vogler ou Albrechtsberger. Il fut protégé de Haydn, ami de Schubert et rencontra Beethoven qui nota sur son carnet de conversation : Il est un bon pianiste et on lui fait accueil... Il est monstrueusement vaniteux. La rencontre avec le fils ne semble pas s'être mieux passée que celle avec le père en avril 1787.

Je viens d'écouter - et de découvrir - le 2ème concerto pour piano op. 25 de Mozart le Jeune. L'oeuvre date de 1818. Cette même année, le cousin Weber avait commencé à écrire le Freischütz, Beethoven avait déjà composé 29 de ses 32 sonates, 8 de ses 9 symphonies et la totalité de ses concertos pour piano. A côté de ces monuments, l'oeuvre du fils Mozart paraît bien conventionnelle, et pourtant elle témoigne d'un solide savoir-faire et se colore d'une petite touche de romantisme qui annonce Liszt ou Schumann. J'avoue que j'ai été séduit, tout autant par la qualité de la musique que par l'évocation du destin d'un homme condamné à vivre avec cet héritage, à la fois bénédiction et malédiction : le nom de Mozart. Et le mot de Voltaire : Combien de gens ont eu quelque talent pour la poésie, pour la musique, pour la peinture ! Cependant il serait ridicule de les appeler des génies. Franz Xaver ne sera jamais un génie. Il laisse une oeuvre quantitativement dérisoire, pas besoin d'un Köchel pour en dresser le catalogue. Quelques choeurs, quelques lieder, deux concertos pour piano, une symphonie en deux mouvements, un peu de musique de chambre, des danses, des variations, dont une série sur le menuet de Don Giovanni de son père. Et pas plus que son frère, il n'aura d'enfant. Le sang des Mozart s'éteint en 1858 avec la mort de Carl Thomas, lui aussi sans héritier. 

Les psychanalystes s'en sont donnés à coeur joie pour nous expliquer qu'il fallait interpréter le coup d'épée qui perçait le coeur du Commandeur comme l'acte terrible d'un fils tuant son père, et comment ce père est revenu punir son fils de ce meurtre symbolique. On n'en connaît pas assez sur la vie de Franz Xaver Mozart, - et à vrai dire, l'on s'y intéresse beaucoup moins -, pour supputer si, lui aussi, a voulu tuer symboliquement l'image écrasante de son daron. Mais consciemment ou non, il est probable que l'ombre de Wolfgang pesait sur Franz :

Andante espressivo du 2ème concerto

Le mouvement a tout de même un petit air de famille. Il suffit de ralentir un peu l'entrée du piano dans le concerto n° 20 K. 466 en ré mineur pour s'en convaincre :

Le père

et le fils...

Troublant, non ?

samedi 10 janvier 2009

Félix et Fanny

 

1991 et 2006 furent des années Mozart. 2007 commémora le tricentenaire de la mort de Bextehude. 2008 célébra le centenaire de la naissance de Messiaen. 2009 sera, c'est officiel, consacré à la mémoire de Mendelssohn qui est né le 3 février 1809. Occasion peut-être de découvrir que l'heureux Félix n'a pas écrit seulement une Marche Nuptiale un peu nunuche et un concerto pour violon, mais également des centaines d'oeuvres qui ne sont quasiment jamais jouées, des hymnes, des lieder, des cantates, des opéras, des psaumes, des motets,  des oratorios, des choeurs, des musiques de scène, des ouvertures et un raton laveur. Première manifestation solennelle de cette année commémorative : l'oratorio Elias, donné les 10 et 11 janvier au Théâtre des Champs-Élysées sous la direction de Kurt Masur, retransmis le 26 janvier sur France Musique, et redonné dans la foulée les 25 et 26 mars à Notre-Dame de Paris avec John Nelson à la baguette. N'allez jamais écouter Elias à Notre-Dame, à moins de réserver une place dans la nef, bien en face de l'orchestre, et si possible dans les premiers rangs. Sinon, derrière votre pilier, vous aurez peut-être une chance d'apercevoir le bout de la baguette du chef dans les fortissimo et le déplaisir d'entendre une bouillie sonore peu harmonieuse.

 

Le musicien a été durement jugé par la postérité, et c'est sans doute mérité. Il faut fouiller longtemps dans un fatras d'oeuvres assez moyennes pour dénicher quelques joyaux. Combien ses symphonies paraissent pâles devant celles de Beethoven, ses lieder convenus devant ceux de Schubert, ses pièces pour piano plutôt falotes devant celles de Schumann ! Enfant prodige, adolescent surdoué, aussi habile à dessiner ou à rimer qu'à nager et à tirer l'épée, parlant au moins couramment six langues dont le grec et le latin, possédant une immense culture encore enrichie par la fréquentation de Hegel et de Goethe, enfant gâté, gosse de riche n'ayant jamais connu la mouise qui garantit l'authenticité de l'artiste romantique, bambin trop bien élevé ou trop inhibé pour manifester les rages, les passions et les fureurs d'un Berlioz ou d'un Wagner, Mendelssohn laisse l’image d’un compositeur élégant, un peu académique, un tantinet dilettante, d’un tempérament qu’on devine peu forgé derrière un visage aux courbes molles, un homme du monde à l'exquise politesse. Son plus grand titre de gloire restera peut-être d'avoir remis au goût du jour Bach et Haendel dont les auréoles commençaient à pâlir derrière leur vieille perruque.

 

Tout a été dit sur Mendelssohn, et bien peu sur sa soeur. Fanny avait quatre ans de plus que son frère et, musicienne émérite, elle possédait sans aucun doute, elle aussi, des dons exceptionnels. Mais dans la haute bourgeoisie de l'époque, il eût été de la dernière inconvenance pour une fille d'embrasser une carrière artistique. Abraham Mendelssohn, le père, fit autant pour favoriser la réussite de son fils que pour étouffer celle de sa fille. Ses lettres sont édifiantes : Je suis content de toi sur tous les points essentiels. Tu es bonne, et si petit que soit le mot, il signifie beaucoup. Mais il est nécessaire de te perfectionner encore, surtout de mieux comprendre ta vocation de femme et de ménagère, la seule à laquelle tu sois appelée... Soumets-toi à ce sacrifice dès aujourd'hui et le plus joyeusement du monde.

 

Fanny était obéissante. Elle resta humblement dans l'ombre de ce frère qu'elle admirait et chérissait tant, et se contenta de pratiquer la musique comme un art d'agrément, organisant de petits concerts privés et composant des pièces qui sortirent rarement de l'intimité familiale et du cercle d'amis. Elle laisse au moins 250 lieder, quelques compositions pour orchestre et plus de 125 pièces pour piano. Elle n'avait que 42 ans lorsqu'elle mourut soudainement d'une crise cardiaque le 14 mai 1847. On peut penser que son frère en fut suffisamment affecté pour la suivre dans la tombe six mois plus tard, il n'avait pas 39 ans.

 

Ces deux-là s'aimaient d'un amour fraternel tendre et indéfectible. On évoque Wolfgang et Nannerl, elle aussi excellente musicienne qui n'eut pas la chance de naître garçon. Bien malin qui, sans les connaître, pourrait affirmer que telle oeuvre est de Félix et telle autre de Fanny. D'ailleurs, plusieurs Romances sans paroles publiées par Félix sont en réalité de la plume de sa soeur. Réunissons-les donc à la fin de ce message avec ces deux oeuvres pour piano inspirées par l'Italie. Laquelle est de Félix ? Laquelle est de Fanny ?

 

Félix ou Fanny ?

Fanny ou Félix

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