1991 et 2006 furent des années Mozart. 2007 commémora le tricentenaire de la mort de Bextehude. 2008 célébra le centenaire de la naissance de Messiaen. 2009 sera, c'est officiel, consacré à la mémoire de Mendelssohn qui est né le 3 février 1809. Occasion peut-être de découvrir que l'heureux Félix n'a pas écrit seulement une Marche Nuptiale un peu nunuche et un concerto pour violon, mais également des centaines d'oeuvres qui ne sont quasiment jamais jouées, des hymnes, des lieder, des cantates, des opéras, des psaumes, des motets,  des oratorios, des choeurs, des musiques de scène, des ouvertures et un raton laveur. Première manifestation solennelle de cette année commémorative : l'oratorio Elias, donné les 10 et 11 janvier au Théâtre des Champs-Élysées sous la direction de Kurt Masur, retransmis le 26 janvier sur France Musique, et redonné dans la foulée les 25 et 26 mars à Notre-Dame de Paris avec John Nelson à la baguette. N'allez jamais écouter Elias à Notre-Dame, à moins de réserver une place dans la nef, bien en face de l'orchestre, et si possible dans les premiers rangs. Sinon, derrière votre pilier, vous aurez peut-être une chance d'apercevoir le bout de la baguette du chef dans les fortissimo et le déplaisir d'entendre une bouillie sonore peu harmonieuse.

 

Le musicien a été durement jugé par la postérité, et c'est sans doute mérité. Il faut fouiller longtemps dans un fatras d'oeuvres assez moyennes pour dénicher quelques joyaux. Combien ses symphonies paraissent pâles devant celles de Beethoven, ses lieder convenus devant ceux de Schubert, ses pièces pour piano plutôt falotes devant celles de Schumann ! Enfant prodige, adolescent surdoué, aussi habile à dessiner ou à rimer qu'à nager et à tirer l'épée, parlant au moins couramment six langues dont le grec et le latin, possédant une immense culture encore enrichie par la fréquentation de Hegel et de Goethe, enfant gâté, gosse de riche n'ayant jamais connu la mouise qui garantit l'authenticité de l'artiste romantique, bambin trop bien élevé ou trop inhibé pour manifester les rages, les passions et les fureurs d'un Berlioz ou d'un Wagner, Mendelssohn laisse l’image d’un compositeur élégant, un peu académique, un tantinet dilettante, d’un tempérament qu’on devine peu forgé derrière un visage aux courbes molles, un homme du monde à l'exquise politesse. Son plus grand titre de gloire restera peut-être d'avoir remis au goût du jour Bach et Haendel dont les auréoles commençaient à pâlir derrière leur vieille perruque.

 

Tout a été dit sur Mendelssohn, et bien peu sur sa soeur. Fanny avait quatre ans de plus que son frère et, musicienne émérite, elle possédait sans aucun doute, elle aussi, des dons exceptionnels. Mais dans la haute bourgeoisie de l'époque, il eût été de la dernière inconvenance pour une fille d'embrasser une carrière artistique. Abraham Mendelssohn, le père, fit autant pour favoriser la réussite de son fils que pour étouffer celle de sa fille. Ses lettres sont édifiantes : Je suis content de toi sur tous les points essentiels. Tu es bonne, et si petit que soit le mot, il signifie beaucoup. Mais il est nécessaire de te perfectionner encore, surtout de mieux comprendre ta vocation de femme et de ménagère, la seule à laquelle tu sois appelée... Soumets-toi à ce sacrifice dès aujourd'hui et le plus joyeusement du monde.

 

Fanny était obéissante. Elle resta humblement dans l'ombre de ce frère qu'elle admirait et chérissait tant, et se contenta de pratiquer la musique comme un art d'agrément, organisant de petits concerts privés et composant des pièces qui sortirent rarement de l'intimité familiale et du cercle d'amis. Elle laisse au moins 250 lieder, quelques compositions pour orchestre et plus de 125 pièces pour piano. Elle n'avait que 42 ans lorsqu'elle mourut soudainement d'une crise cardiaque le 14 mai 1847. On peut penser que son frère en fut suffisamment affecté pour la suivre dans la tombe six mois plus tard, il n'avait pas 39 ans.

 

Ces deux-là s'aimaient d'un amour fraternel tendre et indéfectible. On évoque Wolfgang et Nannerl, elle aussi excellente musicienne qui n'eut pas la chance de naître garçon. Bien malin qui, sans les connaître, pourrait affirmer que telle oeuvre est de Félix et telle autre de Fanny. D'ailleurs, plusieurs Romances sans paroles publiées par Félix sont en réalité de la plume de sa soeur. Réunissons-les donc à la fin de ce message avec ces deux oeuvres pour piano inspirées par l'Italie. Laquelle est de Félix ? Laquelle est de Fanny ?

 

Félix ou Fanny ?

Fanny ou Félix