Quel est le point commun entre France Télécom, l’eau minérale Aquarel de Nestlé et la Mercedes de Benz ? Jean-Sébastien Bach, bien sûr ! Et plus précisément le prélude de la 1ère suite pour violoncelle BWV 1007. Ces trois marques ont en effet utilisé la musique du cantor pour illustrer un de leurs spots publicitaires.

 

La suppression de la publicité sur les chaînes télévisées du service public risque de porter un sérieux coup à la culture musicale des Français. C’était à peu près la seule occasion d’entendre quelques secondes de musique classique sur les stations généralistes. À l’avenir, il faut donc s’attendre à ce que les téléspectateurs restés fidèles aux chaînes commerciales soient  beaucoup plus pointus en ce domaine que les adeptes des chaînes publiques, qui n’auront plus pour se remplir les tiroirs du cerveau que les Experts Manhattan ou Plus belle la vie. Bienheureux ceux qui commenceront leur journée avec une tasse de café l’Or absolu présenté par le King Arthur de Purcell, accompagné par les biscuits Infiniment chocolat de Delattre magnifiés par la valse de la Sérénade pour cordes de Dvorak. On pourra découvrir ou redécouvrir sur ce site les étonnantes et parfois déroutantes idées des créatifs au fil des années :

http://classictoday.free.fr/pub.php

 

Ainsi, associer l’Apprenti Sorcier de Dukas au papier toilette Lotus pourrait conforter ceux qui  pensent qu’une telle musique est tout juste bonne à se torcher, et le mariage du Philipshave Cool Skin avec le Requiem de Mozart leur confirmera peut-être qu’ils ont raison de trouver cette œuvre très rasoir. Mais il y aura toujours un peu de Carmen dans la ménagère qui achètera son Ajax multi usages au supermarché, et la petite complicité de rigueur entre gens du même monde avec Violeta qui se fournira en serviettes périodiques Vania au rayon voisin.

 

Le phénomène n’est pas nouveau. Tout bambin, Kléber-Colombes m’a fait connaître les Danses polovtsiennes du Prince Igor de Borodine crachotées dans le poste de TSF familial. De longue date, la publicité a été mariée à la musique qui, décidément, doit faire vendre (on estime que la muzak diffusée dans les supermarchés permet d'augmenter les ventes de 38 %). Et la publicité elle-même a enrichi la musique, puisqu’à travers les quodlibets, fricassées et farces diverses, nous sont parvenus les cris des marchands des rues du Moyen Age et de la Renaissance. On réécoutera avec bonheur Voulez ouyr les cris de Paris de Clément Janequin, pot-pourri de tous les jingles de l’époque, appels des marchands de chandelles et de navets, de choux et d’allumettes. Au XIXe siècle, la firme pharmaceutique Beecham, outre des œuvres de commandes destinées à promouvoir ses produits, imprimait sur ses prospectus des partitions d’airs à la mode, romances, extraits d’opérettes, et même du Haendel et du Mendelssöhn. Paderewski, Grieg ou Rachmaninov contribuèrent à la publicité du Pianola, l’instrument mécanique conçu par l’Aeolian Company de Tremaine père et fils. Pavarotti chanta le Mefistofele de Arrigo Boito pour faire vendre la Mégane de Renault.

 

Musique de classe, musique classieuse, la musique classique confère aujourd’hui de la respectabilité, de la noblesse et du lustre au produit le plus prosaïque. Rien n’est plus con qu’un fer à repasser, mais celui de Bosch, transfiguré par le Ainsi parlait Zarathoustra de Richard Strauss, devient un objet de culte, un accessoire quasiment mystique, le grandiose symbole de la lutte d’Ahura Mazdà, le Bien, lisse et sans pli contre Ahriman, le Mal, froissé et fripé. Le matou qui consommera les boîtes Gourmet Gold ennoblies par l’air Vissi d'arte, vissi d'amore de la Tosca de Puccini ne sera plus le greffier de gouttière pelé qui fait tant rigoler les voisins, mais un héros romantique, un génie maudit félin au destin tourmenté. Le cadre supérieur lui-même n’aura plus honte de se présenter au bureau le cul serré dans un jean Levis, puisque cette défroque peu élégante a été aristocratisée par la Sarabande de Haendel et peut désormais prétendre à la noblesse des hauts-de-chausses à canons de dentelles et cascades de rubans couleur singe mourant, ventre de nonnain ou faute de pisser ruisselant sur les bas.

 

Il y a une morale, heureusement. Il arrive quelquefois que la musique soit plus forte que le message publicitaire et finisse par l’occulter. Ainsi, le grand public a plébiscité la 2ème valse de la Suite Jazz de Shostakovich et l’a élevée au rang de tube. Tout le monde connaissait et fredonnait cet air qui fut même repris par André Rieu, mais bien peu pouvaient dire précisément à quel produit il était associé.

 

Ceci est un médicament, pas d’utilisation continue sans avis médical, à consommer avec modération, l’énergie est notre avenir, économisons-la... À l’heure où tant de mentions obligatoires doivent figurer dans les spots publicitaires, je suggère qu’on impose également de mentionner le titre de l’œuvre utilisée comme illustration sonore et le nom de son compositeur. Ça ne coûterait pas grand chose et ce serait le moindre des respects pour l'oeuvre et pour le public.