En 2009, comme chaque année depuis 16 ans, France Musique, relayé par France 3, organisera ses Victoires de la Musique Classique, grand-messe médiatique un peu ampoulée qui met à l’honneur la Grande Musique dans les petites lucarnes. Tenue de soirée de rigueur, majesté du sujet oblige. Beaucoup de blablas, de mondanités, de ronds de jambes et de politesses convenues, mais aussi et surtout une occasion de découvrir de jeunes interprètes de grand talent.

L’exercice est périlleux et le résultat évidemment contestable, puisqu’on demande au public, pas forcément spécialiste, de comparer des prestations qui ne sont en rien comparables. Bien des éléments peuvent influencer les votes. Les qualités techniques ou la musicalité risquent de passer au second plan après le costume ou la couleur de la robe, le sourire, la présence scénique ou le choix des œuvres. C’est sans doute la raison pour laquelle aucune pièce contemporaine ne figure dans les répertoires. À talent égal, on peut craindre qu’un violoniste qui présentera la célébrissime Campanella ait plus de chance de l’emporter que celui qui proposera le Xnoybis pour violon seul de Giacinto Scelsi. Mais après tout, c’est le jeu, et si l’on refuse de le jouer, il suffit de tourner le bouton.

Trois modalités de vote sont proposées : par courrier, en découpant le bulletin inséré dans le CD qui accompagnera le Télérama du 7 janvier (comptez 0,55 euro pour le timbre), par audiotel en appelant le 0 892 68 22 33 (0,34 euro la minute + coût éventuel selon opérateur, selon la formule consacrée), ou par Internet. Les votes seront pris en compte jusqu’au 31 janvier et la finale est prévue le 9 février.

Cette dernière solution étant gratuite, mon avarice légendaire m’a bien évidemment poussé à l’adopter. Deux catégories sont proposées aux suffrages : Révélation soliste instrumental et Révélation artiste lyrique.

Trois valeureux candidats concourent dans la catégorie instrumentale, celle à laquelle je consacrerai mon billet aujourd’hui (je me réserve la catégorie Révélation artiste lyrique pour un billet ultérieur, afin de ne pas allonger démesurément la sauce). Lise Berthaud, une altiste, Romain Leleu, un trompettiste, et Antoine Pierlot, un violoncelliste. J’ai écouté plusieurs fois chaque prestation, voici mes impressions. Elles ne seront évidemment pas les vôtres, c’est tout l’intérêt de la chose. Vous pourrez vous-même juger sur pièce, voir et entendre les trois instrumentistes ainsi que participer au vote sur la page : http://www.radiofrance.fr/francemusique/ev/victoires09.php

Lise Berthaud ne part pas d’emblée avec les meilleures chances. Elle pâtit de la réputation de son instrument et traîne derrière elle les innombrables (et injustes) blagues sur les altistes qui provoquent des rires gras dans les coulisses des salles de concerts. J’en retiens celle-ci, la confidence d’un jeune altiste qui revient d’un stage d’instrument à son voisin de pupitre : J’ai appris des choses fantastiques ! Tiens, les doubles croches, par exemple ! Attends ! Je vais t’en jouer une ! On en trouvera d’autres ici : Pour rire

L’arpeggione était un instrument bâtard qui semblait né d’une partouze obscène entre la viole de gambe, le violon et la guitare, On l'appelait parfois guitare d’amour ou guitare violoncelle. Il fut conçu en 1823 par le luthier Johann Georg Staufer et serait complètement oublié aujourd’hui si Schubert ne lui avait consacré, à la demande du luthier, une sonate en la mineur D. 821. On pourra se faire une idée de la bête ici (la bête étant l'instrument, pas la sonate ! Suivez donc un peu !) : http://www.agoravox.fr/IMG/arpeggione_gross.jpg

La surprise est heureuse, et l'on ne peut qu'applaudir au choix de donner cette sonate dans une version alto, alors qu'elle est généralement interprétée au violoncelle. Est-ce grâce à son profil à la Ségolène Royal ? En tout cas, Lise Berthaud se tire avec bravitude de l’épreuve. La mélodie est délicieuse, l’alto chante magnifiquement, la présence est incontestable, la robe élégante et de bon goût, bref, j’avoue que j’ai cédé au charme et que, toujours très fleur bleue, je suis tombé un peu amoureux.

Les 4 pièces pour piano et alto op. 113 de Schumann, Märchenbilder ont été décrites par l’auteur comme des Histoires de contes de fées. On est dans la tradition du romantisme fantastique allemand, de Chamisso (que Schumann a d’ailleurs mis en musique) ou d’Hoffmann. Le 3ème mouvement, Rasch, pourrait évoquer quelque galopade infernale de démons dans une nuit sans lune. Dans cette optique, Lise Berthaud s’en tire à merveille. L’alto gronde, rugit, déchire, c’est âpre, râpeux et sauvage à souhait. Par acquit de conscience, j’ai écouté ensuite la version Erato avec Philippe Caussé à l’alto et Jean Hubeau au piano. Elle est moins rapide et m’a paru infiniment plus sage. J’y préfère nettement la fougue et la jeunesse de Lise Berthaud.

Le trompettiste Romain Leleu rassure par sa stature et son aplomb. Solidement campé sur la scène, il donne l’impression apaisante que rien de fâcheux ne pourrait arriver. Un visage de poupon en celluloïd, de la concentration, du sérieux, un air de bon élève, sinon de premier de la classe. Et un peu d’ennui, aussi. L’idée de choisir ces variations sur le Carnaval de Venise n’est pas des plus opportunes. Bien sûr, l’œuvre met en valeur les qualités techniques de l’interprète, d'ailleurs on a l'impression qu'elle n'a été écrite que pour ça. Cette avalanche de notes et de traits a l’air très difficile à exécuter et le trompineur s’en tire parfaitement, même si je ne suis pas expert du bouzin à embouchure pour en juger tout à fait pertinemment. Las, cela paraît plus un morceau de concours qu’une pièce de concert. Et que c’est long ! J’ai bâillé.

La Danse des Ombres Heureuses, (qu’on évitera évidemment de traduire de l’anglais Dance of the spirits blessed par le faux ami Danse des Esprits Blessés, comme sur cette page : http://www.tlsain37.org/article-11668702-6.html ) à été introduite par Gluck dans la version parisienne de son Orphée, pour répondre aux goûts du public de l’époque. On ne s’en plaindra pas, la page est admirable. Elle était écrite à l’origine pour la flûte, Romain Leleu nous en offre une transcription pour trompette tout à fait crédible. J’ai cessé de bâiller et mes oneilles ont été agréablement caressées par la chaleur intime et délicate des demi-teintes du bouzin à pistons. Mais je ne suis pas tombé amoureux. Peut-être une simple question d’orientation sexuelle.

Brahms composa la 2ème sonate pour violoncelle et piano en fa majeur op. 99 pendant l’été 1886, alors qu’il séjournait près du lac de Thun. C’est peut-être le paysage qui lui inspira cette pièce magnifique. Période heureuse et féconde, qui vit naître les Lieder opus 105, 106 et 107. Antoine Pierlot ressemble un peu aux portraits que nous connaissons de Brahms dans sa jeunesse. Souhaitons-lui de ne pas ressembler, dans trente ou quarante ans, au Brahms de la vieillesse. Le garçon est manifestement bourré de qualités techniques, mais il interprète cette sonate d’une manière un peu trop furieuse et trop tourmentée à mon goût. Un peu trop brouillonne, pour tout dire. En vérité, cela me paraît inutilement échevelé, d’un romantisme stéréotypé trop appuyé. J’aurais aimé davantage de retenue, j’aurais aimé que les notes aient le temps de se poser, que les thèmes aient le temps de mûrir et de se déployer. Disons que, pour cette œuvre profonde écrite par un homme mûr de 53 ans, j’aurais apprécié davantage de maturité. J’ai écouté ensuite cette même sonate par Rostropovitch et Serkin dans la version DG. Même en faisant abstraction du mauvais équilibre entre le violoncelle et le piano, trop omniprésent, la version d’Antoine Pierlot ne tient pas la comparaison.

Le Cygne du Carnaval des Animaux de Saint-Saëns est un passage obligé. C’est une fort belle page, certes, mais un peu trop rabâchée. Etait-il nécessaire de nous la resservir ? Là encore, Antoine Pierlot en fait trop à mon goût. Ce cygne est bien affecté, il manque de simplicité. Il perd beaucoup de sa grâce par des accents trop appuyés et inutiles. C’est un cygne de théâtre, un cygne qui se la pète et qui veut montrer comme il est beau. Mais les cygnes ne sont pas des paons, ils ne font pas la roue.

Alors, en conclusion, et puisqu’il faut choisir, je balance entre le trompettiste Romain Leleu et l’altiste Lise Berthaud. Et j’accorde une petite préférence à cette dernière, peut-être pour une simple question d'orientation sexuelle, et aussi pour punir Romain Leleu de son brillant, mais indigeste Carnaval de Venise. Mais bien sûr, vous n’êtes pas obligés de me suivre.